Ancien hippie devenu l’un des scénaristes les plus rentables de Hollywood, auteur notamment du Roi Lion ou de Fight Club pour ne citer que deux cartons commerciaux au sein d’une très longue liste, l’Américain Christopher Vogler est à Lyon cette semaine pour vendre à de jeunes amateurs les recettes grâce auxquelles se concoctent les blockbusters.
Il y a été invité par Alexandre Astier, auteur de Kaamelott sur M6, qui lui DOIT beaucoup. Entendre cet auteur d’un Guide du scénariste qui est devenu la bible des studios d’Hollywood, c’est comprendre avec quel cynisme et selon quelles valeurs l’industrie culturelle flatte et façonne la psychologie des foules.
Quand la « culture » fait recette
Tout comme dans les romans de la collection Arlequin, le premier baiser intervient page 32, la production cinématographique qui gagne (et gagne beaucoup) répond à un formatage dont Christopher Vogler est l’un des théoriciens les plus influent. Pour la première fois en France, cet ancien de Walt Disney vient vendre les règles du succès. Pendant trois jours, il explique à de jeunes blaireaux fascinés comment écrire une « bonne histoire ».
L’intrigue
Une histoire à succès, explique Vogler, repose sur trois piliers. La capacité à plaire au plus large public possible. « Va vers ton risque, ceux qui te regardent s’habitueront ». Aux antipodes de cette célèbre phrase par laquelle René Char invitait l’artiste au courage, les propos de Vogler pourraient se résumer ainsi : « Va vers ton fric ! Ceux qui te regardent t’enrichiront ».
Comme un publicitaire, le scénariste américain en est convaincu : « Il faut ne se préoccuper que de la cible ». Ouvertement putassier Vogler veut plaire, et plaire au plus grand nombre. Tout est là : ne jamais caresser le public que des deux mains et dans le sens du poil.
Un bon film n’est pas le produit d’un regard pertinent sur le monde, non, c’est une histoire construite pour déranger le moins de monde possible, ni Noirs ni Blancs, ni Gays, ni jeunes ni vieux, ni hommes, ni femmes… Est-il plus bel aveu de populisme culturel ?
Le bougisme
Le cinéma du statu quo et de l’intransigence n’est pas vendeur. Souvenez-vous, poursuit l’expert en manipulation émotionnelle, les spectateurs paient pour s’entendre rappeler, -mensonge ou pas, qu’importe !- qu’ils ne sont pas condamnés à rester ce qu’ils sont. Ils aiment que la vie leur soit présentée comme une évolution plutôt que comme une stagnation.
Un bon film, c’est un voyage. C’est joli le voyage, nen ? Un succès, c’est l’histoire d’un changement. C’est ce qu’on pourrait appeler le versant intime du progressisme.
Le divertissement
Le cinéma hollywoodien est moins fait pour mettre le spectateur face à lui-même que pour l’aider à s’oublier. Quand Pascal écrivait que tout le malheur de l’homme vient de ne savoir demeurer dans sa chambre, c’était à coup sûr depuis les temps bénis où l’industrie culturelle de masse n’avait pas commencé ses ravages.
Désormais, dans une chambre ou dans une salle obscure, au lieu d’être durement renvoyé à l’effroi qu’engendre le silence des espaces infinis, le spectateur hypnotisé se laisse divertir par l’apaisant brouhaha d’une merdouille mielleuse qui, genre d’aspirine métaphysique, est conçue dès l’origine pour le soulager, et le vitaminer.
Qu’il est lucratif, vraiment, le marché de la moraline ! Qu’ils sont haïssables, vraiment, les mercantiles odieux qui vendent du fun aux cons !
Un bon héros
Mais l’intrigue n’est rien si elle ne repose sur un personnage dont le pouvoir de séduction n’est, lui non plus, pas laissé au hasard. Vogler fait ainsi le très révélateur portrait du héros qui marche.
Un bon héros ne saurait être neurasthénique. Adieu l’Adolphe de Constant, Adieu le narrateur de La recherche du temps perdu, un bon héros doit être volontaire et dynamique. Et tant pis pour ceux qui, amis de l’introspection, comptaient sur la mise à nu par les œuvres d’art d’esprits torturés pour voir plus clair en eux-mêmes.
Le bon héros n’est pas non plus un saint. Adieu vitraux où se voyaient des figures qui, parce qu’elles étaient plus vertueuse que celui qui les contemplaient, avaient vocation à tirer son âme vers le haut. C’était à l’époque où l’on ne jugeait pas encore risible de dire qu’il valait mieux viser le paradis que la fortune.
Le héros doit certes être vaillant et beau, mais il doit aussi avoir les défauts qui permettent au public de s’identifier. Car, explique l’auteur américain, les gens sont égoïstes et ne pensent qu’à eux. L’écran qu’ils regardent est d’autant plus rentable pour les producteurs qu’il leur est un miroir complaisant. Ils se détournent de tout personnage qui fait preuve d’une vertu par trop supérieure à la leur.
Vivent les reflets de la médiocrité sympathique et commune. Loin de s’en plaindre, Vogler s’en réjouit et s’en gave.
L’amoral de cette histoire
Aristote, Homère, Freud, et surtout Joseph Compbell qu’il tient pour son mentor, Vogler fait feu de tout bois. Tout est bon pour ourdir les manipulations mentales par quoi il s’enrichit.
Car, comme on s’en doute, Vogler se vante de ne pas s’adresser à la raison. Seule l’intéresse, plus rentables, la sphère émotionnelle. A l’aune des bénéfices, tous les coups sont permis. parler aux trips et au cerveau repilien plutôt qu’à la raison.
Son but n’est ni de faire penser ni d’élever l’âme, non, son but est de faire rire et pleurer puisque c’est par le racket de la sensibilité qu’on génère les plus gros profits.
Comme nombre de ceux de sa génération qui ont dévoyé les enseignements du structuralisme ou de la psychanalyse, Vogler en a fait de juteuses recettes. En vingt ans, les post-soixante-huitards ont transformé des disciplines faites pour mieux comprendre l’homme en une série de méthodes destinées à le ratisser.
Et soyez en sûr, ça ne va pas aller en s’arrangeant. La pire camelote est devant nous.
Comédiens, téléphiles décérbrés, scénaristes cupides, ils étaient près de 500 à avoir payé 450 euros dans l’amphithéâtre du palais des congrès de Lyon pour boire les paroles du maître en manipulations audiovisuelles.
Quant à savoir combien a touché Astier pour organiser et promouvoir cet évènement moderne et déplaisant, c’est ce que ce cynique satisfait, lors de sa brève présentation du maître, tout occupé qu’il était à cabotiner et faire rire, s’est bien gardé de préciser.