A l’égard des 35 heures, le moins qu’on puisse dire c’est que la position de Jean-Marc Ayrault paraît un peu fluctuante. Quand on finit d’en rire, on aimerait l’aider. Et qui mieux que le pestiféré Louis-Ferdinand Céline pour ramener la gauche au contact du prolétariat dans une défense des 35 heures qui pourrait faire grincer bien des dents du côté du gouvernement.
Dans un entretien avec des lecteurs publié dans le Parisien la semaine dernière, le Premier ministre s’est félicité de ce que le dispositif sur le temps de travail ait été assoupli, il a exclu de revenir aux 39 heures, n’a pas cependant exclu d’en débattre, a admis que les lois Aubry avaient compliqué la vie de nombreuses petites entreprises, pour conclure en disant qu’il n’avait rien dit. Un vrai mille-pattes qui ne sait pas sur quel pied danser !
Cafouillage, couac, demi-volte et volte-face, virement revirement rerevirement, les mots ensemble abondent et manquent pour désigner son attitude. Au moins, tous ses amis et tous ses détracteurs ont eu la joie de croire un bref instant qu’il leur donnait raison.
La bonne nouvelle, c’est que le sujet n’est plus « tabou ». Longtemps interdit, le « débat » sur la durée légale du temps de travail devient possible.
Quant à savoir quelle position pourrait y tenir Ayrault, c’est difficile à dire. Comme il est de coutume dans son gouvernement, tout le monde n’est pas d’accord. Ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social, Michel Sapin refuse de pousser les 35 heures dans la tombe tandis que Manuel Valls, le plus populaire des ministres en exercice, se réjouirait plutôt de les voir valser.
Force est donc pour le Premier ministre de prendre du recul. A cette fin, puisqu’il se dit « ouvert » et « pas dogmatique », voici un paragraphe qui pourrait lui être utile :
« Bien sûr on peut pas supprimer, l’usine dès lors étant admise, combien d’heures faut-il y passer dans votre baratin tourbillant pour que le boulot soye accompli ? toutes les goupilles dans leurs trous, que vous emmerdiez plus personne ? et que le tâcheron pourtant crève pas, que ça tourne pas à sa torture, au broye-homme, au vide-moelle ?…
Ah ! C’est la question si ardue… toute délicate au possible. S’il m’est permis de risquer un mot d’expérience, sur le tas, et puis comme médecin, des années, un peu partout sous les latitudes, il me semble à tout bien peser que 35 heures c’est maximum par bonhomme et par semaine au tarabustage des usines, sans tourner complètement bourrique.
Y a pas que le vacarme des machines, partout où sévit la contrainte c’est du kif au même, entreprises, bureaux, magasins, la jacasserie des clientes c’est aussi casse-crâne écoeurant qu’une essoreuse-broyeuse à bennes, partout où on obnubile l’homme pour en faire un aide-matériel, un pompeur à bénéfices, tout de suite c’est l’Enfer qui commence, 35 heures c’est déjà joli ».
A vue de nez, cette langue n’est ni celle de Président Hollande, bien plus molle et boiteuse ni celle rudimentaire que braille Thibaud (ou son successeur) dans son mégaphone tout au long des manifs. Ces mots sont ceux de Céline dans De beaux draps.
Lui qui rédigeait cent pages de brouillon pour une page définitive a l’intelligence de ne vouloir appliquer les 35 heures qu’aux travaux forcés. N’empêche qu’il y a une certaine jubilation à rappeler à la gauche qu’elle trouve en Céline un allié sur ce point. Ce même Céline dont elle se flatte généralement de ne pas partager les idées, ce même Céline qu’elle insulte, agonit et conchie.