Par-delà les caricatures et les lourdaudes railleries dont il fait l’objet, le créationnisme est-il une théorie scientifique ? Merci à Monique Canto-Sperber, directrice de l’École normale supérieure et productrice sur France culture de l’émission Questions d’éthique, d’avoir posé la question à l’historien et philosophe des sciences Thomas Lepeltier dans son émission diffusée le jeudi 8 novembre.
Voilà qui repose de la bêtise et de la propagande des scientistes fanatiques qui, ne doutant plus de rien, vont partout répétant que les savants et les blouses
ont définitivement enterré les questions métaphysiques et démontré l’inexistence de Dieu.
Enseignant à Oxford, Thomas Lepeltier n’est ni ecclésiastique ni même créationniste. Il a pourtant fait paraître en 2009 un livre, Vive le créationnisme, sous-titré Point de vue d’un évolutionniste.
Cet ouvrage répond par l’affirmative à la question suivante : le créationnisme est-il une théorie scientifique susceptible d’être débattue dans les communautés de chercheurs ?
D’après l’auteur, tous les créationnistes n’assurent pas, bible en main, que la terre a six mille ans et que les espèces ont été toutes créées la même semaine.
A côté de ces créationnistes littéralistes, il en existe qui reconnaissent la validité de la théorie de la sélection naturelle développée par Darwin.
Validité reconnue, mais validité partielle. Si performante que soit la théorie exposée en 1859 dans L’origine des espèces, la sélection naturelle n’offre de l’histoire qu’une explication incomplète. Elle ne répond par exemple aucunement à la question de savoir comment sont apparues la vie ou la conscience ?
Grâce au « dessein intelligent » répondent les créationnistes darwiniens qui comblent ainsi les lacunes laissées par les justifications darwiniennes.
Aux évolutionnistes qui assurent que la théorie darwinienne progressera et finira par tout expliquer, les créationnistes partisans du dessein intelligent répondent que leur ambition sera toujours déçue, tant qu’ils ne feront pas intervenir, pour justifier certaines évolutions naturelles, la participation d’une « cause intelligente ».
Dès lors, explique Thomas Lepeltier, le débat se déplace sur le terrain épistémologique. Les scientifiques se demandent si le fait d’évoquer l’existence d’une cause intelligente fait ou non sortir le créationnisme du domaine scientifique.
Au 20ème siècle, notamment avec l’épistémologue Karl Popper, la scientificité d’une discipline tient moins au contenu de ses énoncés qu’à la manière dont elle s’offre au débat : en somme, est scientifique une théorie qui adopte pour son énonciation des forme de discours qui la rendent susceptibles de réfutations par les membres de la communauté des chercheurs.
Suivant ce critère, l’ « intelligent dessein » est, selon Thomas Lepeltier, bel et bien une théorie scientifique.
Peu importe qu’il trouve qu’elle soit peu pertinente.
Ce qui compte, c’est d’abord que, comme il le dit et contrairement à ce qu’on entend trop souvent, la science a beau avoir progressé, le mystère de la vie reste inviolé.
Ensuite, Thomas Lepeltier est surtout ennemi des faux consensus :
Ce n’est pas parce que les théoriciens de l’intelligent dessein sont extrêmement minoritaires dans la communauté scientifique que leur point de vue ne devrait pas avoir droit de citer. Surtout quand on sait que c’est souvent grâce à l’ingéniosité de quelques minoritaires qu’adviennent les plus grandes révolutions scientifiques.